Maurice Couturier, president of honour of the Société Française Vladimir Nabokov, has written a letter to Le Monde on the subject of Nabokov's absence from its list of 100 novels that have excited its critics since 1944. The letter is pasted below:
Un surprenant absent parmi les « 100 meilleurs romans du Monde »
Maurice Couturier
Traducteur et spécialiste de Nabokov, éditeur de ses romans dans la
Bibliothèque de la Pléiade, je m’étonne de ne pas trouver Lolita ou Ada
dans votre classement des 100 romans qui ont « le plus enthousiasmé »
vos critiques depuis 1944, ni même le nom de cet auteur dans la liste
des grands absents. Il suffit de consulter vos archives pour constater
que votre journal, dont je suis un fidèle abonné, a consacré de très
nombreux articles fort louangeurs à Nabokov, et que ce nom apparaît dans
une multitude d’autres articles de votre journal depuis la guerre.
Suite au succès de Lolita aux Etats-Unis et seulement quelques mois
avant la parution du roman en traduction française, Claude Julien
écrivait dans votre numéro du 21 janvier 1959 : « Depuis trois ans les
touristes américains pouvaient se procurer à Paris ce livre qui n'avait
pas encore trouvé d'éditeur aux États-Unis. Aussi, dès sa publication à
New-York, le roman bénéficia-t-il d'un grand succès de curiosité assez
malsaine. Les critiques les plus habiles crurent trouver une solution
élégante en dénonçant l'aspect ‘moralement choquant’ de Lolita, tout en
louant sa haute qualité littéraire […]. Nabokov a délibérément renoncé à
cette sexographie, qui est devenue une assurance sur le succès
commercial. En outre, il s'est offert le luxe, tout au long de son
récit, de déployer une exceptionnelle virtuosité dans l'art de manier sa
langue d'adoption : il étale un vocabulaire très riche, joue sur les
mots, manie l'ironie et le sarcasme, avec un talent que ne manifeste
aucun écrivain américain de sa génération. »
En 1999, vous classiez ce roman parmi les cent meilleurs livres du
siècle comme le faisaient aussi d’autres journaux, The Guardian ou The
New York Times par exemple. Cette place aurait aussi pu être occupée par
un autre roman de Nabokov, mon préféré, Ada, à propos duquel vous avez
publié à sa sortie un compte rendu très flatteur de Pierre Dommergues
qui se terminait de la façon suivante : « Dans Ada, Nabokov aborde les
mythes qui caractérisent les civilisations archaïques et modernes (…).
La perspective comique assure l'objectivité scientifique. Seul l'auteur
d'Ulysse avait tenté cette aventure. Le relais de Joyce est assuré par
Nabokov. » Et Bertrand Poirot Delpech, dans un ardent panégyrique de ce
roman paru en 1975, renchérissait : « une des aventures artistiques les
plus totales et les plus risquées depuis Proust et Joyce, un des défis
majeurs de l'écriture au monde éboulé de souvenirs et de syllabes
qu'elle tire de la nuit. »
Vous n’avez cessé d’encenser Nabokov jusqu’à la fin des années
quatre-vingt-dix et maintenant vous le remisez aux oubliettes, lui
préférant une foule d’auteurs qui ne lui arrivent pas à la cheville. Le
politiquement/moralement correct aurait-il encore frappé ? Seriez-vous
victime du syndrome « me-too » ? Vous avez toujours manifesté pourtant
sur les sujets touchant à la morale en matière de sexe une louable
ouverture d’esprit. Dans l’article du 11 mai 2001 que vous avez publié à
l’occasion de la sortie de ma traduction, Pierre Gugliemina me
reprochait en le détournant le propos que j’avais tenu sur la pédophilie
dans mon introduction : « Aussi lorsque Maurice Couturier évoque, dans
son introduction, le conflit possible du texte et du contexte, en disant
que, ‘face à une perversion comme la pédophilie, il devient plus malaisé
de goûter sans réserve le plaisir esthétique que dispense [Lolita]’, il
évalue mal à quelle profondeur de noirceur Nabokov entend traiter une
perversion comme la pédophilie ». Il feignait de croire que je
critiquais Nabokov alors que je m’en prenais à l’air du temps dont je
percevais qu’il allait devenir de plus en plus hostile à cette
littérature d’une très haute teneur poétique, ce qui s’est confirmé
depuis malheureusement. Il dresse un peu plus loin un merveilleux
panégyrique de ce roman qu’il semble avoir eu plaisir à redécouvrir dans
ma traduction : « Loin de susciter de sombres réserves (sauf à définir
celles-ci comme de tendres stocks érotiques), Lolita expose désormais en
pleine lumière non seulement l'ambition esthétique de Nabokov mais aussi
son ambition politique. Les grands livres raflent toujours toute la
mise. »
Soixante-cinq ans après sa parution, ce roman est aujourd’hui mis à
l’écart par les critiques pour des raisons essentiellement éthiques,
alors que, comme je le disais déjà dans mon introduction, l’adultère
d’Emma Bovary ou les délires érotiques de Molly Bloom ne choquent plus
personne. Quand je reçois le relevé de mes droits et constate qu’il
continue de se vendre à des milliers d’exemplaires, je me demande
toujours si ceux qui l’achètent sont d’abord des goûteurs d’encre
exigeants ou des amateurs de pornographie. Ces derniers risquent d’avoir
la même déconvenue que ce GI des années cinquante stationné en France
qui, lisant à haute voix devant sa chambrée les premières lignes de ce
roman dans la célèbre édition verte de Girodias, a bientôt jeté le livre
en tonnant ce verdict : « C’est de la bon dieu de littérature ! »
Renan disait que « la vraie admiration est historique », ajoutant : «
doublement historique, par la situation du récepteur lui-même, et par
celle qu’il attribue à l’œuvre qu’il admire – ou qu’il méprise. » Le nom
de Lolita, bien que ne faisant plus recette éditorialement, est
constamment présent dans la presse, mais la plupart des lecteurs
ignorent maintenant d’où il vient. Quand j’ai voulu publier Le Rapt de
Lolita, le roman dans lequel je rendais un hommage paradoxal à Nabokov,
tout en l’accusant plaisamment d’avoir volé le manuscrit d’un personnage
bien réel, plusieurs éditeurs et non des moindres ont reconnu les
qualités et l’inventivité de mon texte mais refusé de le faire paraître
sous prétexte qu’il ne correspondait pas à la politique éditoriale de la
maison. Il a fallu un éditeur exigeant et qui sait prendre des risques
pour le publier.
Le gigantesque essor du roman moderne depuis l’époque classique, rendu
possible par l’invention et le développement de l’imprimerie, a
provoqué une forme radicale de censure et donné lieu à des procès
retentissants. Paradoxalement, cette censure a contraint les Sterne,
Flaubert, Joyce et Nabokov à réaliser des prouesses poétiques inouïes
pour la contourner ou la ridiculiser, et passer « en fraude » leurs
désirs et leurs fantasmes. Puisqu’il est impossible de faire la police
de l’imaginaire du lecteur dans son huis-clos avec le roman, on s’en
prend aux auteurs, aux éditeurs et aux distributeurs pour en interdire
ou stopper la diffusion. A l’ère d’Internet, où il est devenu plus
malaisé d’interdire des romans sexuellement explicites, ce sont des
institutions comme la vôtre qui, à leur façon, prennent le relais, sans
qu’il soit question de censure bien sûr, seulement d’appréciation
critique ou d’enthousiasme. Vous avez une responsabilité éducative
considérable dont, je le crains, vous ne faites pas toujours un très bon
usage ainsi qu’en témoigne à nouveau cette malheureuse liste.
Comments2
Eric Naiman responds...
As sympathetic as I am to Maurice Couturier’s wish that every arbiter of literary taste should include Lolita in its list of most important texts, I find it depressing that a defense of Lolita should have to be predicated on the need to portray as “victims of the MeToo syndrome” -- and as dupes of political correctness, for good measure -- those who fail to value the novel with sufficient esteem. Rather than free our appreciation of the novel from political concerns, Maurice’s letter suggests that both “open-mindedness” in regard to sexual morality and admiration for this novel are fundamentally under threat from a movement that calls attention to sexual harassment and sexual assault. To refer to the MeToo movement as a “syndrome” or to those who are influenced by the movement as its “victims” is itself problematic, reflecting at best a militant indifference to the experiences from which MeToo has sprung, and I worry that to do so on behalf of Lolita or Ada may serve to confirm the unfortunate suspicion that aesthetic pleasure in general -- not to mention admiration for Nabokov in particular -- tends to be incompatible with compassion for suffering that occurs outside the text. Those of us who study, read and, most importantly, teach Nabokov with engagement and delight need not subscribe to this false dichotomy.
Eric Naiman, UC Berkeley
Response from Maurice Couturier
I am not sure Eric Naiman even tried to read between my lines. I am
certainly not a critic of the Me-Too movement, even if, like lots of
people in France, I object to some of its extreme manifestations. But I
hold that political correcteness should not enter a good critic's
judgement when dealing with such great literary works as Lolita and Ada,
or Voyage au bout de la nuit to take another example.
I won't say more.
Maurice Couturier