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Fw: Fabrice Colin: Dreamericana
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To: NABOKV-L@LISTSERV.UCSB.EDU
Sent: Thursday, April 03, 2003 4:52 AM
Subject: Fabrice Colin: Dreamericana
S.F.
Il voit des Nabokov partout
Entre 2012 et le XIXe, les aventures d'un écrivain en panne d'inspiration dans un roman hanté par le spectre de l'auteur de «Lolita».
Par Frédérique ROUSSEL
jeudi 03 avril 2003
FABRICE COLIN
Dreamericana
J'ai lu/«Millénaires», 441 pp., 15€.
'abord éviter de buter sur le titre, Dreamericana. Le titre contient le nom de deux héros, Eric et Anna. On le devinera après. Mais cet indice augure de la suite. Fabrice Colin, jeune écrivain de trente ans, a écrit là un roman à clefs. On ne les verra pas toutes, loin de là . La plus grosse s'appelle Vladimir Nabokov, l'auteur d'Ada ou l'ardeur et de Feu pâle, que Fabrice Colin vénère. Au fil de Dreamericana, il a disséminé des références, des anagrammes, de discrets appels du pied. Les lettres de Vladimir Nabokov mélangées deviennent Vivian Darkbloom et Adam Von Librikov, deux personnages du roman. Le président de l'Americana se nomme Dimitri Nabokov, le grand-père de l'autre, qui était vraiment un homme politique dans la réalité. Autant de petits cailloux blancs qui esquissent le fantôme de Nabokov. On le croise même près de Cornwell, à Cayuga Heights, silhouette immobile sur le bas-côté, mentor malgré lui. Responsable d'un accident malgré lui.
On est en 2012, aux Etats-Unis, dans la torride ville de Phoenix. Hades Shufflin, un écrivain de science-fiction à succès, subit les affres de la panne d'inspiration. Il n'arrive pas à pondre le vingt-et-unième volet de son cycle Antiterra (clin d'oeil à Ada). D'habitude, il vit littéralement sa fiction. Rien ne lui vient plus. «Il vivait, il avait l'impression de vivre, il se mentait à lui-même, son inspiration gisait au fond d'un tombeau, les call-girls s'asseyaient sur le cercueil et faisaient tourner des cigarettes ultralight, crème solaire et silicone, et elles ne partaient pas, et lui restait des matinées entières vautré sur un canapé à regarder les cartoons à la télévision. (...)» Hades éclate en rages violentes, boit exagérément, prend de la coke et zone des heures devant la librairie Barnes and Noble où travaille une vendeuse affriolante... L'éditeur Adam Von Librikov s'impatiente, un Stanley Kubrick ressuscité aussi, qui a décidé d'adapter le nouvel opus d'Hades. La personnalité de l'écrivain, raide de paranoïa, est attachante. Et, tout d'un coup, c'est la rupture. Le roman bascule dans son univers littéraire. On a envoyé quelqu'un dans l'esprit de Shufflin pour forcer sa créativité. Belle grosse pirouette de Fabrice Colin.
Bienvenue donc dans Dreamericana de Hades Shufflin (éditions Cesar Mind). Un livre dans le livre, un pur roman steampunk, cette science-fiction qui revisite le passé à l'époque de la vapeur (steam). Dans son XIXe siècle, Amérique et Russie ne forment qu'un, Americana. Où Guerriers et Voyageurs se livrent une guerre sans merci. L'enjeu est d'éviter la destruction du monde. Un vrai jeu d'échecs, comme les aimaient... Nabokov et Kubrick. Cette partie est effrénée, ludique, parfois chaotique. Heureusement, le héros Erik Suncliff est amnésique, beau réceptacle pour le lecteur, qui découvre avec lui tout ce qui lui tombe dessus. On est tellement loin des états d'âme de Hades, même si Colin s'est encore amusé à tisser des liens ténus entre les deux moitiés de son roman. On a parfois l'impression de divaguer, mais la lecture reste jubilatoire. Colin écrit en images, pousse vers le fantastique le moindre recoin. Il ose par exemple une tour Eiffel marchant dans l'eau à Manhattan, un rien touchante. On y croirait.
L'inclassable et éclectique Fabrice Colin a déjà tâté du thème de la création dans l'excellente nouvelle Naufrage, mode d'emploi (1999). Dans Or not to be, il a également joué sur les différents niveaux de lectures, le fantôme littéraire étant cette fois Shakespeare. Dans cet ambitieux et brillant Dreamericana, il s'aventure plus loin dans son exploration de la frontière entre le réel et la fiction. Il puise dans la réalité (Kubrick et Nabokov), et la modifie. Il brouille les pistes de la narration. On y perd parfois son latin. Mais on garde longtemps, longtemps, l'ambiance de Dreamericana en surimpression. Comme un rêve.